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Samir ZIME YERIMA, prix Guy-Carcassonne 2025 – « Attribuer la personnalité juridique à la Seine : une nouvelle dérive anthropocentrique ? »

« Je ne sais pourquoi on s’aime comme ça, la Seine et moi… »

En déroulant ce couplet, Vanessa Paradis ne fait que poursuivre une longue tradition de personnification artistique de la Seine. Bien avant elle, Prévert, Hugo et tant d’autres ont magnifiquement subjectivé ce fleuve. Mais voilà qu’aujourd’hui, ce jeu poétique menace de déborder dans le champ juridique. Certaines organisations et autorités proposent en effet d’accorder la personnalité juridique à la Seine. La maire de Paris, Anne Hidalgo, annonçait ainsi, en décembre dernier, la mise en place prochaine d’une convention citoyenne « des droits de la Seine » devant aboutir à faire adopter par le législateur une loi reconnaissant à la Seine la personnalité juridique.

De quoi s’agit-il ?

L’idée d’octroyer une personnalité juridique à la Seine vise à reconnaître des droits propres au fleuve et à le doter d’une capacité juridique lui permettant d’agir en justice, ou d’être représenté devant les juridictions. Cette idée n’est pas inédite. La Nouvelle-Zélande et l’Inde ont déjà franchi le Rubicon – ou plutôt respectivement le Whanganui et le Gange – en accordant la personnalité juridique à ces fleuves. En France, cette idée trouve un accueil favorable aussi bien auprès de certains militants que d’universitaires. Des initiatives ponctuelles ont déjà émergé et se sont renforcées dans le contexte des Jeux olympiques.

Cette proposition est-elle juridiquement possible ?

Sur le plan purement juridique, rien n’interdit d’accorder à la Seine la personnalité juridique. Néanmoins, certaines exigences constitutionnelles doivent être respectées. En premier lieu, seul le législateur est habilité à instituer une nouvelle catégorie de personne juridique. Ensuite, cette création ne doit pas entrer en conflit avec d’autres intérêts protégés par la Constitution, en particulier les droits fondamentaux. Somme toute, ces conditions apparaissent techniquement peu contraignantes.

Mais possibilité rime-t-elle nécessairement avec utilité ?

Bien qu’elle se veuille progressiste, cette proposition paraît, à bien des égards, inopportune. Premièrement, elle semble sous-estimer la richesse du dispositif juridique existant. Le Code de l’environnement, dans ses articles L. 210-1 et suivants, offre déjà une protection étendue des eaux et milieux aquatiques. Il reconnaît l’eau comme « patrimoine commun de la nation » et établit un régime juridique complet : principes de gestion équilibrée, planification, police de l’eau, sanctions pénales et administratives. Quant à l’argument de la représentation, les associations environnementales bénéficient déjà en droit français d’un droit d’action en justice reconnu par l’article L. 142-1 du même code. Le fleuve dispose donc dans les faits de « représentants » légaux capables de défendre ses intérêts devant les juridictions. En outre, ces associations peuvent agir même devant le juge constitutionnel, par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a en effet reconnu la pleine invocabilité de certaines dispositions de la Charte de l’environnement, en les rangeant parmi les droits et libertés que la Constitution garantit au titre de l’article 61-1 de la Constitution (décision n° 2014-394 QPC du 7 mai 2014).

Deuxièmement, la personnification juridique n’apporte aucune réponse aux véritables faiblesses de la protection environnementale. Les obstacles actuels sont éminemment d’ordre pratique : sous-effectifs des services d’inspection, manque de moyens techniques, engorgement des tribunaux, non-application des textes existants, etc. La création d’une nouvelle catégorie juridique n’augmentera pas les budgets, ne recrutera pas d’inspecteurs supplémentaires et n’accélérera pas les procédures. Elle risque même de détourner l’attention et les ressources des mesures véritablement nécessaires, tout en créant l’illusion d’une protection renforcée.

Troisièmement, cette innovation juridique risque d’introduire plus de confusion juridique que de protection. Quand l’on songe un instant à la condition de mise en œuvre d’une telle idée, c’est-à-dire la nécessaire adoption d’une loi, un paradoxe révélateur apparaît soudain. En tentant de s’inspirer, de bon aloi, des expériences étrangères, on replonge dans un mal bien français et si bien nommé par Guy Carcassonne, la « démangeaison législative ». Il s’agit de cette tendance délétère à légiférer sur tout, et donc à confondre la réponse avec la solution. Ainsi prospère l’inflation législative au détriment de solutions pérennes.

Derrière cette proposition se cache enfin un dernier paradoxe philosophique et idéologique. En dénonçant le caractère anthropocentré du droit, les partisans de cette idée défendent eux-mêmes un anthropocentrisme inversé en forçant la nature à entrer dans nos catégories humaines. Plutôt que des réponses normatives, la protection de la Seine appelle des solutions factuelles.

Samir ZIME YERIMA, attaché temporaire d’enseignement et de recherche en droit public ISJPS, Ecole de droit de la Sorbonne, Paris 1


Genèse de l’article

Le point de départ de cet article réside dans l’annonce par Anne Hidalgo d’une convention citoyenne sur « les droits de la Seine ». Cette initiative s’inscrit dans un mouvement international plus vaste de reconnaissance de la personnalité juridique aux entités naturelles. L’initiative m’est apparue comme un cas particulièrement intéressant pour analyser les limites d’une telle proposition dans le contexte français. L’approche méthodologique adoptée a consisté à confronter le droit positif à la proposition. Il m’a semblé essentiel d’examiner de prime abord le cadre juridique en vigueur, pour évaluer l’apport réel d’une personnification juridique de la Seine. Cette approche a permis de révéler que les obstacles à une meilleure protection environnementale relevaient davantage de problèmes pratiques que d’insuffisances juridiques. Les travaux de Guy Carcassonne ont, sur ce plan, constitué une source d’inspiration majeure dans l’analyse critique des réponses normatives.


Le prix Guy-Carcassonne

La dixième édition du prix Guy-Carcassonne a été remis le mercredi 12 janvier 2025.

Lancé en 2014, le prix Guy-Carcassonne récompense chaque année un article inédit de 5 000 signes sur une question constitutionnelle liée à l’actualité française ou étrangère. Cet article doit aider à faire comprendre au plus grand nombre les enjeux juridiques, politiques et sociaux posés par cette question constitutionnelle.

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