Philippe ARDANT, Dominique MEHL

Introduction

Pouvoirs n°51 - Télévision - novembre 1989 - p.3

Quel formidable enjeu de pouvoir que la télévision ! Dès ses débuts, les gouvernements l’ont bien compris qui s’en sont assuré le contrôle sans partage à travers la référence au service public et l’instauration du monopole. Et ceci dans une sérénité parfaite, encore renforcée par le sentiment de faire barrage ainsi aux puissances d’argent.

Cette situation ne pouvait résister à l’évolution des esprits, à la prise de conscience aussi par les gouvernants eux-mêmes que le crédit d’une télévision était lié à son indépendance et le leur, pour partie au moins, à l’autonomie qu’ils sauraient lui accorder. L’histoire de la télévision en France est celle d’une lente et douloureuse délivrance. Les dernières péripéties de la troisième autorité de régulation (le CSA) l’attestent, avec la désignation pour A2 et FR3 d’un président inattendu du pouvoir. Affranchie en partie de la sollicitude intéressée de l’Etat, la télévision n’est pas pour autant libérée des influences, pressions, contraintes extérieures ; elles se sont simplement déplacées.

La création de chaînes privées, et, avec elle, l’introduction du pouvoir de l’argent, change les données du problème par la concurrence qu’elle instaure pour la conquête du marché publicitaire et, au-delà, d’une influence multiforme sur la société. Elle pose un redoutable défi aux chaînes publiques subsistantes qui doivent s’organiser, se transformer pour le relever.

La décentralisation et l’arrivée du câble exposent les autorités locales aux tentations de l’intervention. Parallèlement, on ne peut plus penser la télévision en termes strictement nationaux. L’Europe et le monde dans son ensemble ouvrent leurs espaces ; on s’y bat pour l’achat de programmes, la maîtrise de réseaux, le contrôle des entreprises de production et de diffusion. Et les Etats peuvent difficilement rester indifférents et ne pas se réintroduire, par la réglementation au moins, dans un domaine avec lequel ils avaient eu tant de mal à prendre leurs distances.

Aussi la recomposition du paysage audiovisuel recouvre et exacerbe d’inévitables luttes pour le pouvoir au sommet. Celles-ci ne doivent pas faire oublier celles qui, à des niveaux plus modestes, apparaissent pour la préparation d’une émission ou d’un journal télévisé, par exemple. Bien réelles, elles échappent pourtant à peu près complètement au téléspectateur.

C’est à partir de ces fils directeurs et de ces questions qu’est construit ce numéro.

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