Olivier DUHAMEL, Jean-Luc PARODI
Élire un Président
Pouvoirs n°14 - Élire un Président - septembre 1980 - p.3
Tous les Etats ont un chef. Un chef, mais pas toujours un Président, et pas toujours désigné au suffrage universel direct. Parmi les plus grandes puissances industrielles, seules deux accordent au peuple le soin d’élire leur dirigeant suprême : les Etats-Unis et la France. Précisément les deux pays où est née l’idée de constitution, où le dix-huitième siècle s’est achevé dans la Révolution, où prend forme la République moderne. Faut-il en déduire que si, là où les monarchies ont survécu, la place n’existait pas pour élire un Président, là où elles ont été balayées, le désir du monarque perdura et rendit nécessaire l’élection populaire de son substitut ?
Les choses semblent plus compliquées et moins tranchées. Les régimes
politiques autrichien, irlandais ou islandais sont peut-être plus proches du britannique que du français, malgré l’élection directe du Président. Autrement dit, ce mode d’élection ne suffit pas à classer de façon significative les régimes politiques. L’appréciation scientifique du mécanisme reste donc en balance.
Et l’appréciation politique ? De la moitié du dix-neuvième aux années 1960, le lieu commun dominant la politique française affirmait l’infamie césarienne de l’élection du Président par le peuple. Seuls quelques publicistes osèrent soutenir le contraire. Mais à peine deux décennies ont suffi pour rendre l’idée inverse plus que dominante, le nouveau consensus intégral. Pas une voix ne s’élève aujourd’hui pour demander l’abandon de ce type de scrutin, et Pierre Mendès France, sollicité pour participer à ce numéro, répond qu’à rompre le silence il préfère que ce soit sur d’autres thèmes.
L’unanimité n’empêche pas l’analyse. Et le temps vient de s’interroger sur les faces cachées de l’élection présidentielle : la sélection de ses candidats, ses fonctions latentes, ses effets sur les systèmes politiques ou sur les partis, son rôle dans la socialisation politique des enfants… Tâche d’autant plus urgente que l’expérience historique montre qu’on ne revient pas, sauf accident, sur l’élection du chef de l’exécutif au suffrage universel direct, une fois qu’on en a pris le risque.