Olivier DUHAMEL

Introduction

Pouvoirs n°64 - Le Parlement - février 1993 - p.3

La France a longtemps pratiqué le Parlement gouvernant, dont Philippe Lauvaux nous rappelle les origines suédoises, le modèle du Frihetstiden, de 1720. Elle est passée au Parlement domestiqué, lequel, paradoxalement, n’a pas empêché une résurgence de l’antiparlementarisme, ce national-populisme récurrent analysé par Benoît Jeanneau. Le Parlement est bien l’institution démocratique par essence, et qui consacre d’abord la démocratie en son sein, comme le plaide Guy Carcassonne. La France est-elle condamnée à l’alternance entre Parlement gouvernant et Parlement domestiqué? Ou saura-t-elle un jour inventer un Parlement contrôleur du pouvoir gouvernemental ?

Subordination et dérèglements s’accumulent dans l’exercice de la fonction législatrice. Guy Braibant rappelle utilement que lorsque la qualité et la clarté de la loi se dégradent c’est tout l’Etat de droit qui est atteint. La France a mis un terme à l’inflation des prix, elle souffre d’une impressionnante inflation normative qu’atteste le rappel des données étudiées par le Conseil d’Etat en 1991. Faire la loi demeure pourtant, démontre Michel Couderc, le noyau dur de la fonction parlementaire, mais à condition qu’il sache orienter son travail sur la vie de la loi, l’évaluation de l’application, avant de décider sa survie ou sa modification. Les réformateurs auraient garde d’oublier que le Parlement dispose déjà de nombre d’outils qu’il n’utilise guère, et d’ignorer la spécificité soulignée par Jean-Louis Pezant : le droit parlementaire reste un droit politique où les règles non écrites pèsent d’un poids particulier.

Jusqu’à quel point souffrons-nous d’un mal spécifiquement français? Le
présent numéro aide ày répondre, tant la dimension comparativey estprésente.
Le lecteur jugera par lui-même à partir de ces textes et des tableaux commentés
sur les infrastructures dans quelques grandes démocraties. C’est encore le droit
politique comparé qui nourrit la réflexion ici poursuivie par Didier Maus sur
la réforme du Sénat, et particulièrement des conditions d’élection des sénateurs.

Comment améliorer le Parlement ? D’abord en restaurant le contrôle budgétaire, anormalement concentré sur 5 % des crédits comme l’indique Roger Chinaud. Ensuite, surtout selon Pierre Mazeaud, en limitant le rôle de ses adversaires (Europe, départements et régions, Conseil constitutionnel, médias).
Henry Roussillon va plus loin encore et propose rien de moins que la réduction
du nombre des députés à une centaine et leur élection à la proportionnelle nationale. Yves Mény croit plus utile de supprimer tout cumul des mandats, ce au terme d’un réquisitoire très argumenté sur les méfaits du système actuel – très spécifiquement français. Pierre Avril enfin, qui avait, en 1985, introduit un numéro de Pouvoirs plutôt optimiste sur l’Assemblée, conclut en 1993 un numéro plutôt critique sur l’état du Parlement français. Il met en cause le dévoiement produit par la dérive du gouvernement présidentiel. Puissent ces réflexions en susciter d’autres et, qui sait, demain ou après-demain, quelques changements.

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