Thierry S. RENOUX
Le pari de la justice
Pouvoirs n°99 - La nouvelle Ve République - novembre 2001 - p.87-100
Ce qui a le plus changé depuis 1958 et marque la distance qui sépare le texte
de la Constitution de la Ve République avec la vie politique est sans aucun
doute, dans la dernière décennie, la « montée en puissance » de la justice
dans la société française.
Le socle de toute démocratie d’opinion est par définition l’adhésion des
citoyens à une forme de vérité sociale. Cette vérité, au-delà de l’affirmation
d’une vérité politique ou légale, exige désormais une vérité judiciaire.
Si la place de la justice dans la société a changé, il n’en va pas de même de
son statut constitutionnel écrit, c’est-à-dire de la place de la justice dans
l’État. Une Constitution, c’est d’abord et avant tout une pratique. Et la
réforme peut-être la plus ardue à entreprendre est précisément d’infléchir, de
corriger cette pratique. Restaurer la justice dans l’État, c’est rétablir
confiance et respect mutuel entre le monde politique et le corps judiciaire. La
circonstance que les trois pouvoirs se contrôlent réciproquement n’est que
chose naturelle, sans marquer ni supériorité hiérarchique ni surcroît de légitimité,
laquelle a beau être politique ou juridique, élective ou constitutionnelle,
les trois pouvoirs remplissant leur office et le peuple, seul souverain
incontesté, tranchant en dernier ressort. Tel est ainsi le bel enjeu offert au
constitutionnaliste en campagne : faire en sorte, dans un souci de liberté, de
ne pas mettre la couronne au greffe, mais aussi faire en sorte, dans un souci
d’égalité, de ne soustraire quiconque à la justice.