Philippe ARDANT, Maurice FLORY
Introduction
Pouvoirs n°12 - Les régimes islamiques - janvier 1980 (janvier 1983) - p.3
Plus de vingt-cinq régimes se réclament aujourd’hui de l’Islam et affichent parfois avec fierté leur allégeance dans le nom qu’ils se sont donné imagine-t-on une République chrétienne de … ? Leurs constitutions font ici de l’Islam la religion de l’Etat, là elles réservent à un Musulman le pouvoir suprême et leurs Codes trouvent dans le Coran plus qu’une inspiration, une matrice.
A vrai dire le phénomène n’est pas exactement nouveau mais il a été un temps occulté par la place prise par les Arabes sur la scène internationale à la faveur de la décolonisation et interprété comme une manifestation de nationalisme plus que comme l’affirmation d’une solidarité religieuse. Kadhafi et Khomeiny ont fait surgir ce qui déjà était sous-jacent sous Nasser et Ben Bella. En même temps on prenait conscience qu’arabisme et islamisme ne coïncidaient pas et que ce dernier s’étendait aux dimensions de l’Ancien Monde.
A ces régimes l’Islam fournit à la fois le socle et le mortier, une ambition et un guide, mais a-t-il marqué leurs institutions et leur vie politique au point qu’une nouvelle catégorie s’inscrive dans les classi¬ fications traditionnelles des régimes politiques ? Peut-on découvrir dans le Coran une politique tirée de l’Ecriture Sainte ? Ou plusieurs systèmes de gouvernement, selon les voies suivies par les successeurs du Prophète ? En quoi le passé musulman au seuil de son XVe siècle, avec ses dynasties, leurs légistes et leurs philosophes, commande-t-il le présent ? Ces régimes passent-ils indifférents au large des valeurs, modes et mythes venus de l’Occident, libéraux ou marxistes ? Comment les forces politiques se définissent-elles par rapport à la religion ? Citoyens d’un Etat laïc ou inspiré d’autres idéologies, les Musulmans se comportent-ils en minoritaires loyaux ?
Autant de questions auxquelles les événements ont donné une singulière acuité. Mais si l’histoire immédiate impose à ce numéro son contexte elle n’y sera pas directement présente. A ce titre l’Iran, en particulier, n’y tient aucune place privilégiée. L’Islam a devant lui l’éternité, et la Communauté des croyants, l’Umma, réunit les Musulmans du passé, du présent et de demain ; ne serait-ce pas fausser une histoire si tendue vers l’avenir que d’en figer le sens en 1980.