Philippe ARDANT, Georges DUPUIS, Yves MENY
Introduction
Pouvoirs n°40 - Des fonctionnaires politisés - février 1987 - p.3
La dénonciation de la politisation de la fonction publique est devenue rituelle. Elle constitue en particulier un thème obligé de tout discours d’opposition. Mais l’abondance des diatribes et leurs arrière-pensées partisanes ne sont pas faites pour apporter la lumière. Pouvoirs n’y prétend pas, ce numéro se propose simplement d’ouvrir quelques jours.
A qui veut prendre la mesure du phénomène une première démarche s’impose : que faut-il entendre par politisation ? Que les fonctionnaires aient des opinions politiques ou qu’ils les expriment ? Qu’ils adhèrent à un parti politique ou qu’ils le proclament ? Que leur itinéraire de carrière soit commandé par leur appartenance partisane ? Qu’ils mettent leurs fonctions au service de leurs amitiés politiques ? Où commence la politisation ? Il y a bien des degrés entre une sympathie pour des idées et un comportement partisan.
Quand est-elle apparue d’ailleurs ? Peut-être vaudrait-il mieux se demander quand elle a cessé ? La politisation en effet domine l’histoire de la fonction publique. L’idée d’une séparation du politique et de l’administratif est récente. Des siècles durant les emplois publics importants ont été confiés à des hommes sûrs et récompensaient des amitiés, des fidélités et des services. Il y a peu de temps qu’est apparue en Occident, avec l’approfondissement de l’idéal démocratique, une conception de la fonction publique où la compétence l’emporte sur la faveur du Prince, l’égal traitement des citoyens sur le clientélisme.
Conception qui est loin d’être universelle. Dans la plupart des pays aujourd’hui encore, le pouvoir attend des fonctionnaires plus qu’une indispensable loyauté, une étroite allégeance et ne leur impose pas d’être impartiaux – au contraire -. Même dans les sociétés démocratiques, la séparation est quelque peu illusoire, certes l’administration ne doit pas faire de politique mais elle vit dans le politique, les fonctionnaires peuvent-ils s’en abstraire et les Gouvernements résister aux tentations ? Entre des esprits indépendants et d’autres dociles, comment ne préféreraient-ils pas les seconds ?
En réalité en Occident, la question n’intéresse pas l’ensemble de la fonction publique. Seuls les titulaires des emplois les plus élevés sont amenés à se situer à l’égard du pouvoir politique et celui-ci souhaite se reposer sur eux dans une confiance absolue. La politisation ne concerne pas pas encore ? la masse des agents. Explicites ou sous-jacentes ces situations et ces interrogations sont au coeur ce numéro.