Thomas HOCHMANN, André LOEZ et Mathilde UNGER

Introduction

Pouvoirs n°194 - septembre 2025 - L’honneur - p.5

« Il est consternant que Le Cid de Corneille soit la pièce classique la plus lue et commentée dans les écoles. Il s’agit là de l’apologie du crime le plus stupide qui se puisse concevoir », nous dit Michel Tournier dans son Journal extime (2002). Rodrigue a-t-il tué pour rien ? L’honneur est-il une vertu dépassée, voire condamnable ? Les contributions rassemblées ici permettent d’en douter. La conception absolutiste, qui place l’honneur au-dessus de tout le reste, est certes remise en cause. Si l’honneur évoque toujours le sacrifice, pour la patrie notamment, on verra qu’il est possible de conserver à la fois l’honneur et la vie.

Mais, armature des rapports sociaux, l’honneur sert encore à imposer les titres, à dominer les faibles et à contrôler les femmes. Nos sociétés égalitaires et individualistes ont d’ailleurs elles aussi leur code d’honneur : celui-ci ne reconnaît plus une identité statutaire, il récompense les mérites et mesure les gloires. Alors le soupçon persiste : et si l’honneur n’était que le vernis démocratique du vieux péché d’orgueil ? Bien que la distribution des prix reste le plus souvent entre les mains des grands, elle répond désormais à des procédures strictes.

C’est en effet l’honneur que protège le droit en organisant sa confrontation avec la liberté de dénoncer des violences ou de critiquer vivement un pouvoir politique. D’autres règles encadrent sa proclamation la plus solennelle, par une entrée au Panthéon ou dans l’ordre de la Légion d’honneur. Il est ainsi au cœur du système de gouvernement républicain, comme en témoigne l’institution, après Vichy, de la peine d’indignité nationale. L’infamie constitue même un puissant outil d’émancipation : tandis que l’honneur était le seul « bien » dont pouvaient se prévaloir les femmes devant les tribunaux d’Ancien Régime, la honte renverse les rapports de force quand elle change de camp. Le Cid nous paraît loin, mais l’honneur est sauf : il demeure au cœur des relations de pouvoir.

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