Éric THIERS
Introduction
Pouvoirs n°192 - janvier 2025 - Matignon - p.3
Il est de bon ton de considérer que la dyarchie exécutive en France a tourné au seul avantage de la fonction présidentielle. Le Premier ministre serait réduit au statut de « collaborateur » d’un président de la République tout-puissant. Cette tendance de fond, accélérée depuis l’avènement du quinquennat, existe. Mais elle cache une réalité bien plus nuancée que s’efforce d’éclairer cette livraison de Pouvoirs, peu après les élections légis- latives de 2024 et la formation d’un gouvernement minoritaire.
On y verra que, à défaut d’en constituer la clé de voûte, Matignon est bien le centre névralgique de notre système institutionnel, comme le montrent ses relations avec l’Élysée, les autres ministres, le Parlement ou le Conseil constitutionnel. Le Premier ministre peut compter sur des moyens considérables : son cabinet, dont le directeur est un personnage aussi important que discret, mais également ses services, au cœur desquels œuvre le Secrétariat général du gouvernement. Qui plus est, Matignon dispose d’un pouvoir normatif qui lui assure une certaine autonomie.
Mais Matignon n’est pas seulement une belle mécanique administrative. Le Premier ministre a un poids politique qui lui vaut le titre de « chef de la majorité », avec tout ce que cela comporte d’ambiguïté et de fragilité lorsque ladite majorité est avant tout présidentielle. Si l’on note qu’est peu démentie la loi d’airain selon laquelle président de la République et Premier ministre font rarement longtemps bon ménage, c’est sans doute en raison d’une autre loi tout aussi constante : nul n’entre à l’hôtel de Matignon sans penser qu’un autre destin s’ouvre à lui. Pourtant, peu parvinrent à l’Élysée. Jamais aussitôt – si l’on excepte de Gaulle mais d’une République à l’autre –, plus tard à deux reprises seulement. Ceux qui subirent la « malédiction » de Matignon eurent ensuite des trajectoires souvent en deçà de leurs mérites ou de leurs ambitions. Matignon, « terminus des prétentieux » pour reprendre les mots d’Audiard ? L’histoire nous le dira.