Philippe ARDANT

Les monarchies – Introduction

Pouvoirs n°78 - Les monarchies - septembre 1996 - p.5

La monarchie règne sans partage, ou presque, sur l’histoire des sociétés
humaines. Il y a un siècle à peine l’Europe était monarchique, aux seules
exceptions notables de la France et de la Suisse. Mais déjà avec la progression
de l’idéal démocratique, qui paraissait ne pouvoir se réaliser que
dans la république, on croyait cette forme de gouvernement condamnée.
Pourtant l’ironie de l’histoire fait qu’aujourd’hui les plus démocratiques
des sociétés contemporaines soient souvent dotées d’institutions
monarchiques. Et celles-ci, loin d’être des archaïsmes tolérés, peuvent être
bien vivaces ; intégrées et acceptées, elles ne sont guère menacées à court
terme. Le constat mérite qu’on y regarde de plus près.
Certes, si la forme monarchique est présente sur tous les continents
– en dehors de l’Amérique où la greffe à travers des expériences tragiques
n’a jamais pris –, elle recouvre des situations fort différentes, allant de
l’absolutisme le plus fermé à la présence, ornementale en quelque sorte, de
références à la royauté dans les textes constitutionnels. N’ont d’intérêt
théorique que les systèmes où monarchie et démocratie coexistent pour
donner naissance à une forme mixte de gouvernement ; l’étude peut se
limiter à eux.
La formule n’est réussie que si le roi règne mais ne gouverne pas.
L’hérédité est à la fois sa faiblesse et sa force, elle lui retire en légitimité ce
qu’elle lui confère en indépendance à l’égard des partis, des factions et des
groupes. Sans pouvoir autre que d’influence, recours offert parfois en cas
de crise grave, symbole de l’unité de la nation et incarnation respective de
ses valeurs et de ses vertus, le monarque constitue une pièce très voyante
d’un système institutionnel dont les autres rouages sont issus de l’élection.
Pourtant si la monarchie subsiste, ici et là, elle ne se reproduit pas, les
États anciens ne l’adoptent pas plus que les nouveaux, et, lorsqu’elle a disparu,
s’il lui arrive de ressusciter c’est pour peu de temps. En effet, pour
s’épanouir, la monarchie doit pousser ses racines loin dans le passé et trouver
un appui dans la religion ; aussi, lorsque le fil est rompu, il ne parvient
pas à se renouer.
S’il apparaît à l’expérience que la monarchie n’est pas incompatible
avec la démocratie, comment ne pas constater, en sens inverse en quelque
sorte, l’exemple de la France étant là pour le montrer, que la république
est parfois portée à se revêtir des vêtements de la monarchie, conférant au
chef de l’État un pouvoir que pourraient lui envier bien des monarques
contemporains.
PHILIPPE ARDANT

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