Philippe ARDANT

La laïcité – Introduction

Pouvoirs n°75 - La laïcité - novembre 1995 - p.5

La France est l’un des très rares pays où la laïcité soit posée comme
un des principes fondateurs de l’État, comme une valeur républicaine
complétant en quelque sorte la trilogie de 1789 : liberté, égalité, fraternité,
laïcité.
Si l’on s’est affronté autour des trois premières, la laïcité seule a
divisé le pays en deux camps, suscité des oppositions aussi extrêmes et
des mobilisations aussi larges.
Pourquoi cette particularité française ? Bien sûr, l’histoire à
travers ses batailles et nos différends idéologiques, mais aussi les
interrogations sur la place et le statut de la religion dans la société
fournissent les explications majeures. Mais comment ne pas relever en
même temps que, curieusement, l’objet des combats est resté imprécis
tant était incertaine la conception même de la laïcité ? Napoléon
y trouvait un moyen de subordonner le religieux au politique,
d’autres au contraire y voyaient l’expression de la nécessaire neutralité
en face du problème religieux, alors que certains lui conféraient
un fondement rationnel, permettant de définir une morale sociale
avec les hésitations inévitables sur son contenu. Les uns étaient simplement
anticléricaux, d’autres s’affirmaient antireligieux.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Le climat s’est apaisé. La querelle
scolaire, zone des plus fortes turbulences, depuis plus d’un siècle, a
trouvé dès la IVe République dans le droit un certain nombre
d’accommodements, qui ne permettent cependant pas de dire qu’elle
est définitivement éteinte. Les manifestations de 1984 et de 1994 ne
révèlent-elles pas une mémoire encore en éveil et prête à ranimer la
flamme ? Et le débat lui-même réapparaît en se déplaçant comme le
prouve la question du « foulard islamique », engendrant de façon
inattendue une alliance entre les milieux de droite et de gauche
pourtant adversaires de toujours dans la lutte pour la laïcité.
Comme souvent, en sortant de l’hexagone nous comprenons
mieux nos problèmes, dans leur spécificité et dans leur universalité.
D’autant que l’expansion de nouveaux intégrismes repose la question
de la laïcité. PHILIPPE ARDANT

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