Philippe ARDANT

La IVe République – Introduction

Pouvoirs n°76 - La IVe République - janvier 1996 - p.5

Il en est des régimes politiques comme de ceux qui les dirigent, certains
sont mal aimés et non pas tant pour leurs fautes, leurs erreurs et
leurs échecs, que pour n’avoir pas su répondre aux attentes diffuses
des citoyens, pour n’avoir pas défini de projets mobilisateurs ou,
peut-être plus simplement, pour avoir été incapables de faire comprendre
leur action. La IVe République est du nombre. Dès sa naissance,
alors que les régimes nouveaux soulèvent en général espoir et
enthousiasme, elle n’a suscité qu’une adhésion réticente et en quelque
sorte résignée : sa Constitution était présentée comme la moins mauvaise
possible et certains invitaient les Français à l’approuver pour pouvoir
ensuite la modifier. Mauvais départ dont la IVe République ne
s’est à aucun moment remise ; jamais vraiment adoptée, elle est morte
dans une quasi-indifférence, moins de douze ans après avoir vu le jour.
Pourtant, un demi-siècle plus tard, on ne peut s’empêcher
d’éprouver un sentiment d’injustice devant la sévérité dont elle est
l’objet. Reconstruction et modernisation d’une économie dévastée,
mise en place de la Sécurité sociale, invention de la TVA, amorce de
l’édification européenne, décolonisation d’abord contrainte puis courageusement
poursuivie : le bilan de la IVe République – pour s’en
tenir à ces seules réussites – n’est pas négligeable. Et ses traces sont inscrites
en profondeur dans la société française d’aujourd’hui et constituent
encore des axes majeurs de notre politique.
En effet, alors qu’entre 1946 et 1948 le pays assistait passif à la
recherche vaine de majorités assez cohérentes pour être durables,
dans le personnel politique quelques hommes d’envergure, et dans
l’Administration de grands commis, ont défini des politiques ambitieuses
et ont réussi à les imposer et à les mettre en oeuvre à travers
les péripéties de la vie politique.
Car en définitive si l’image de la IVe République est négative,
c’est, semble-t-il, moins aux institutions et aux hommes qu’elle le doit
qu’au souvenir du jugement de contemporains marqués par l’instabilité
gouvernementale et inconscients en même temps des défis nouveaux
rencontrés et souvent surmontés par le régime au lendemain
de la guerre. Peut-être la IVe République mérite-t-elle au moins
qu’on s’interroge sur sa réhabilitation ? PHILIPPE ARDANT

Auteur(s)

To top