Philippe ARDANT, Nicole CATALA, Jean-Maurice VERDIER

Introduction

Pouvoirs n°26 - Le pouvoir syndical - septembre 1983 - p.3

Par vocation première les syndicats défendent les intérêts de leurs adhérents dans leur vie professionnelle. Groupes de pression, ils interviennent pour leur assurer le maximum d’avantages dans les conditions de travail et de rémunération. Ils forment un pouvoir institutionnalisé dans les rapports entre les partenaires sociaux.

Mais l’action des syndicats déborde presque inéluctablement les limites du terrain professionnel. Il leur apparaît, en effet, que leurs revendications butent sur des obstacles ne tenant pas uniquement aux conditions et relations de travail mais aux structures mêmes de la Société. S’interdire de les mettre en cause, c’est s’accommoder d’une situation où le possible est tôt atteint et reste très en deçà des aspirations.

Les syndicats entrent donc dans le jeu politique, ils s’y comportent en pouvoir, et en pouvoir politique, suscitant deux types de réactions.

Pour certains, le pouvoir syndical met en péril la démocratie. Selon eux, dans un régime démocratique, seuls les élus de la nation peuvent parler, décider, contrôler, au nom de tous ; n’est légitime que le pouvoir émanant du peuple. Enface des représentants de la nation, les syndicats n’incarnent jamais que des intérêts privés, et leur légitimité, en France au moins – mais dans d’autres pays industriels aussi -, est d’autant plus contestable qu’elle s’appuie sur des effectifs d’adhérents minoritaires dans la plupart des professions. 20 à 28 % de syndiqués, est-ce suffisant pour traiter en égal avec l’Etat ? Au surplus, en démocratie, la responsabilité est la contrepartie du pouvoir, où est celle des syndicats ? Le pouvoir syndical ne serait en définitive que l’instrument du corporatisme.

A l’opposé, d’autres rappellent que la démocratie suppose des corps intermédiaires. Les syndicats sont une forme d’organisation de la société civile lui permettant de dialoguer avec le pouvoir politique. L’action des syndicats s’oppose à l’hégémonie de l’Etat sur la société. Et en même temps, la représentativité d’un syndicat ne se mesure pas au nombre de ses seuls adhérents, mais aussi de ceux qui, par leurs votes et leurs réponses à ses mots d’ordre, se reconnaissent en lui, approuvent son action et, par là, légitiment son pouvoir.

D’ailleurs aujourd’hui – et n’est-ce pas là l’essentiel ? -, dans l’opinion, les syndicats sont moins perçus comme de simples groupes de pression que comme des acteurs à part entière de la vie politique. Leur pouvoir est légitime, car consenti par les citoyens.

Autour du pouvoir syndical un débat est ouvert. Ce numéro n’a pas l’ambition de le clore, il se propose seulement d’y apporter des données, des témoignages et des réflexions.

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