Philippe ARDANT

Introduction

Pouvoirs n°47 - L'immigration - novembre 1988 - p.3

Le débat sur l’immigration, derrière ses aspects éthiques et passionnels, soulève de vrais problèmes dont la science politique ne peut se désintéresser. En effet, l’immigration n’est pas neutre, elle agit sur la société d’accueil, la modifie, la transforme peut-être et les immigrés de leur côté doivent bon gré mal gré s’adapter au milieu où ils se trouvent plongés. Tout cela n’a rien d’original mais n’est-il pas singulier de constater combien la mémoire historique s’estompe puisqu’on semble parfois découvrir comme une nouveauté une situation bien établie autour de laquelle les polémiques se sont développées avec constance à intervalles irréguliers depuis plus de cent ans ? Un retour sur le passé s’impose en préalable à toute réflexion sereine. Il permet aussi de rappeler les époques trop oubliées où la politique de l’immigration consistait seulement à trouver hors des frontières les bras qui faisaient défaut pour soutenir l’effort de guerre, reconstruire, assurer la croissance de l’économie.

Ces arrière-plans précisés, on constate que les controverses raniment à chaque fois un vieux fonds de thèmes imposés. Les mêmes menaces sont agitées pour mettre en cause la présence des immigrés : de la perte de l’identité nationale à la concurrence pour l’emploi, en passant par les échecs de l’insertion et l’insécurité induite. Et les remèdes proposés tournent autour des obstacles plus ou moins rigoureux à opposer à l’entrée des étrangers sur le territoire ou dans la nationalité, des aménagements à apporter à leur statut et à leurs conditions d’existence. Pourtant ces thèmes ne sont pas devenus académiques ou dépassés, ils se renouvellent et s’enrichissent comme on l’a vu lors de la discussion du Code de la Nationalité. On ne peut les négliger tant est grande aujourd’hui encore la place qu’ils tiennent dans le débat.

En même temps l’évolution de la société et des mentalités fait apparaître
des éléments absents des polémiques anciennes : dans les années trente on ne se souciait guère des clandestins, personne n’aurait songé au début de la IIIe République à soulever la question du vote des immigrés et il aura fallu attendre les années 70 pour s’interroger sur la seconde génération. Parallèlement on ne peut plus traiter de l’immigration sans se référer aux expériences passées, nationales ou étrangères, pour y puiser des arguments, des recettes, des apaisements : que l’on pense ainsi au sort des Italiens accueillis il y a des décennies en France ou à l’attitude de cette société d’immigrés qui est devenue les Etats-Unis.

De tout ceci il est question dans ce numéro. Comme toujours dans cette revue il ne veut rien prouver, seulement décrire, rappeler, analyser, proposer.

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