Philippe ARDANT, Yves MENY, Jacques LERUEZ

Introduction

Pouvoirs n°37 - La Grande-Bretagne - avril 1986 - p.3

La Grande-Bretagne a eu longtemps la réputation d’être un Etat de droit où principes démocratiques et usages politiques semblaient se conjuguer harmonieusement, où les deux grands partis de Gouvernement pratiquaient entre eux une « alternance douce », où un Parlement, certes diminué par rapport à son heure de gloire du siècle passé, contrôlait de près un exécutif collégial tout en lui laissant suffisamment d’initiative et de longévité pour assurer au pays un Gouvernement ferme. Cette stabilité était souvent source de lenteurs dans le changement social, mais, une fois décidées, les réformes étaient acceptées par le plus grand nombre. Au pays de l’habeas corpus, en outre, le rapport police-citoyens était un rapport de respect mutuel. Quant aux médias, et notamment les médias audio-visuels, ils faisaient de la Grande-Bretagne le pays le moins totalitaire du monde.

Depuis quelque dix ou quinze ans, cette image s’est ternie, sinon complètement altérée; la grève des mineurs de 1973-1974 a provoqué la chute du Gouvernement Heath, « l’hiver de mécontentement » de 1978-1979 a abrégé l’existence du cabinet Callaghan ; puis est arrivé au pouvoir, en 1979, un Premier ministre qui n’avait pas – aux yeux des Français tout au moins – le profil d’un Premier ministre britannique, surtout conservateur, non parce qu’elle était femme, mais parce qu’elle était fort peu « lady », au sens où MacmiUan était « gentleman ». Alors le tableau a été noirci : on a renchéri sur la rupture avec le consensus d’après-guerre, sur la brutalité de la politique économique, sur les
affrontements sociaux, sur la gravité des émeutes dites raciales. Comme presque toujours la vérité est entre les deux images – l’image institutionnelle idéalisée d’antan, le tableau de crise politique et sociale d’aujourd’hui. C’est ce que veut montrer cette série d’articles qui, malgré la diversité des thèmes et des points de vue, tente de répondre à deux questions fondamentales : par-delà la relative stabilité du régime institutionnel, n’y a-t-il pas bouleversement de la société politique et des relations entre les pouvoirs ? Oui, sans aucun doute. Mais ces transformations sont-elles définitives ou provisoires ? La réponse est là moins assurée. On verra qu’entre le transitoire et l’irréversible, qu’entre le conjoncturel et le structurel, il est encore très difficile de trancher.

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