Philippe ARDANT, Jean-Marie BOUISSOU

Le nouveau Japon – Introduction

Pouvoirs n°71 - Le nouveau Japon - novembre 1994 - p.7

Depuis le premier numéro que POUVOIRS lui a consacré voici
presque dix ans, le Japon a formidablement conforté son statut de superpuissance
économique, au point d’être aujourd’hui rattrapé par son destin
mondial. L’internationalisation de son économie ne lui permet plus
de maintenir le système de collusion et de protection qui isolait artificiellement
son marché. La crise aidant, à laquelle il n’a pas échappé, son
modèle est remis en question (G. FAURE) et avec lui la pratique des relations
sociales intégrées dans le cadre de cet « État corporatiste » forgé
depuis vingt ans par le parti gouvernemental PLD et l’administration.
Après la restructuration complète d’un mouvement syndical durement
éprouvé par la désaffection des salariés (A. GARANTO), c’est au tour du
système politique de se décomposer, sans qu’il soit encore possible de définir
avec certitude les axes de sa réorganisation (J.-M. BOUISSOU). Mais
il est certain que le débat sur le rôle international du Japon, entre ceux
qui veulent le doter de tous les attributs et des moyens d’une superpuissance
vraiment souveraine et ceux qui voudraient lui voir jouer le
rôle d’une « puissance civile » (S. TAKAYANAGI), constitue une ligne de
clivage essentielle autour du problème de la révision constitutionnelle
(Y. HIGUCHI).
Bien des rigidités demeurent, et les forteresses corporatistes ne se laisseront
pas démanteler aisément. Entre « État mercantiliste » et « nouvel
État civil », entre son rôle traditionnel au service de l’hégémonie américaine
et l’appel de l’Asie, on ne peut pas dire avec certitude quel avenir
le Japon va se choisir (C. SAUTTER). Mais on y voit émerger
aujourd’hui les prémisses d’une nouvelle culture politique et d’une nouvelle
pratique « micropolitique » (E. SEIZELET) enracinée dans l’activisme
au quotidien d’une multitude de réseaux où se vit déjà une « nouvelle
citoyenneté » libérale, à l’opposé des modèles autoritaires que
l’Occident associe traditionnellement à la société japonaise (N. KAN).
De même, face à l’émergence de rivaux dans son environnement
régional immédiat, il est sûr que l’analyse doit se débarrasser des clichés.
Lentement, mais sûrement, sa puissance économique commence à se
traduire en autorité et en capacité politique, nolens mais aussi bien
volens. Sa réussite économique et celle de l’Asie tout entière obligent le
Japon à se forger un destin qui, entre Orient et Occident, a vocation
mondiale (M. SADRIA). Forcément mondiale…
PHILIPPE ARDANT, JEAN-MARIE BOUISSOU

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