Philippe ARDANT

Introduction

Pouvoirs n°31 - La corruption - novembre 1984 - p.3

Avant de traiter de la corruption la logique voudrait qu’on s’attachât à en préciser la définition. Des notions parentes, voisines, complémenaires issues du droit ou du langage quotidien : concussion, trafic d’influence, prévarication, pots de vin… revendiquent en effet leur originalité. Mais une étude de science politique peut négliger le débat terminologique pour retenir, dans une conception large de la corruption, les situations où des moyens de pression illicites et occultes sont utilisés pour obtenir un résultat que les procédures régulières ne garantissent pas.

Ainsi entendue la corruption se manifeste dans toutes les relations sociales. Les affaires privées la connaissent comme le secteur public, on la rencontre en effet aussi bien dans les marchés des entreprises qu’à propos des décisions des personnes publiques. Même si, en définitive, les questions posées par la corruption sont à peu près les mêmes ici et là, nous avons choisi dans ce numéro d’étudier avant tout la corruption dans la politique, la vie administrative et les entreprises publiques.

Un obstacle inattendu a surgi alors. L’idée d’un numéro de Pouvoirs sur la corruption a suscité en effet des réactions contradictoires, prudentes ou passionnées, coopératives ou de refus, qui sont un des éléments du problème de la corruption en France. L’intérêt s’est manifesté surtout à l’extérieur des milieux concernés, curieux de révélations sur des pratiques supposées courantes. Mais ces milieux n’ont à apporter que leurs a priorismes sans pouvoir les étayer sur des faits. Dans la haute administration, la réserve le dispute, dans bien des cas, à l’hostilité dans un silence sur lequel il faut s’interroger.

Pourquoi tant de réticences ? Trois explications viennent à l’esprit. Ce silence serait tout d’abord celui de l’ignorance. Toute expérience est limitée et chacun ne peut témoigner que de ce qu’il connaît. Qui peut prétendre avoir une vue d’ensemble sur le phénomène de la corruption ? D’autant que, et c’est une deuxième piste, le silence peut n’être que le constat de l’absence de corruption, ou tout au moins de son caractère exceptionnel, on se tait car il n’y a rien à révéler. Mais il peut aussi bien s’agir d’un mutisme de défense, d’un voile de pudeur sur des défaillances que l’on déplore et qu’on veut éviter d’exposer au grand jour.

C’est dire que ce numéro n’a pas été facile à réaliser. S’il n’est peut-être pas tout à fait comme nous l’aurions voulu, il traite cependant, nous l’espérons, des aspects essentiels de la corruption.

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