Olivier DUHAMEL, Luc FERRY

Introduction

Pouvoirs n°56 - Bioéthique - janvier 1991 - p.3

Le mot apparemment simple de bioéthique, recoupe en vérité des questions d’autant plus complexes qu’elles relèvent de disciplines très différentes mais les associent de façon rigoureusement indissolubles. Comment traiter par exemple les problèmes des expérimentations médicamenteuses, des procréations médicalement assistées, des dons d’organes ou des manipulations génétiques, sans tenir compte à la fois des possibilités techniques et scientifiques, des apports de la psychanalyse, des principes et méthodes du droit civil, des enjeux économiques et financiers, des difficultés du Législateur moderne, des limites grandissantes du cadre national ? Comment négliger le fait que sur chaque question, chacune des options possibles implique des partis pris, ou à prendre, en termes philosophiques et politiques ?

Tradition ou argumentation ? Telle est l’antinomie centrale à laquelle nous confronte l’inévitable question de la détermination des limites qu’un légitime souci du collectif devra conduire à imposer au déploiement naturel de la liberté individuelle. Faut-il chercher la source de ces limitations dans la référence problématique à un ordre commun qui s’imposerait de l’extérieur ou dans des formes de procédure démocratiques ? Le choix même de cette dernière hypothèse n’est ni simple ni univoque. Doit-on recourir à la seule déontologie élaborée par les praticiens ? Faut il s’en remettre aux jugements de comités de sages ? Est-il raisonnable de laisser aux seuls juges le soin de trancher cas par cas ? Est-il préférable de s’engager sur la voie législative nationale ? Parlementaire ou référendaire ? Ira-t-on jusqu’à une réglementation européenne, voire mondiale ?

On ne saurait non plus se dissimuler le fait que toutes ces interrogations proviennent d’une formidable extension des pouvoirs de l’homme sur l’homme qui peuvent conférer au mythe littéraire de l’apprenti sorcier une réalité sans précédent. C’est dans cette optique que ressurgit la question de l’eugénisme que l’on croyait à jamais refoulée. Une chose nous paraît certaine, c’est qu’en un domaine qui touche à la conscience et à l’existence de chacun d’entre nous, on ne saurait arrêter de décision ultime sans qu’un débat aussi large et informé que possible soit ouvert publiquement. C’est pourquoi nous avons demandé aux intervenants des deux journées d’études organisées en décembre 1989 par la Fondation Saint-Simon de prolonger par écrit, et pour un public plus large, l’indispensable réflexion.

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