Olivier DUHAMEL, Yves MENY

Introduction

Pouvoirs n°60 - La décentralisation - janvier 1992 - p.3

1992 : dix ans déjà que les réformes engagées par Gaston Defferre sont à l’oeuvre et suscitent une adhésion enthousiaste de la classe politique et majoritaire de l’opinion. Bien entendu, le chiffre de dix ans est en partie fallacieux : les évolutions consacrées par la loi étaient parfois bien plus anciennes et les effets de l’énorme complexe législatif et réglementaire adopté de 1982 à 1985 n’ont été sensibles que durant la seconde partie de la décennie. Dix ans représentent une cote mal taillée du point de vue de la réalité des faits, mais un incontestable point de départ symbolique.

C’est à partir de là que s’est réalisée « une des réformes décisives de notre histoire administrative » (J.-Cl. Thoenig), et que s’est constituée une « nouvelle classe politique locale » (A. Mabileau) , qui a pris en charge la « restructuration de l’espace public local autour de la dimension économique » (F. Gerbaux, P. Muller). Cette réforme profonde qui a bénéficié d’un consensus parfois surprenant (A. Percheron) n’est pourtant pas exempte de défauts. Ch. MiUon souligne les inconvénients « d’une imbrication trop étroite des différents niveaux de pouvoir », G. Gilbert et A. Guenguant montrent que « l’atomisation du secteur public local constitue un handicap », C. Ronxin déplore l’inadéquation du statut de la fonction publique territoriale et C. Grémion se demande si « des qualités comme la démocratie, la participation civique, la conscience d’appartenance et le sentiment d’identité obéissent à des raisons économiques et financières ». Qu’en est-il de surcroît, s’interroge A. Delcamp, maintenant que les collectivités françaises affrontent les problèmes liés à l’intégration croissante au sein de la CEE ? De ce point de vue, et dans une perspective comparative, le système français apparaît singulièrement déséquilibré : il est à la fois le plus émietté quant aux structures et le plus concentré quant à la répartition des pouvoirs. Les collectivités locales sont gérées par une élite restreinte et toute-puissante qui compense par le cumul des mandats et des fonctions les inconvénients de la pulvérisation territoriale. Face à ces oligopoles politiques ( Y. Mény) , les contre poids et contrôles sont encore limités malgré les progrès de la juridictionnalisation dont J.-Cl. Hélin et J. Houël analysent les modalités et les résultats.

Dix ans après, l’évaluation est quasi unanime : la décentralisation est un fait irréversible, mais encore incomplet et perfectible. Autant dire que la congratulation des cérémonies d’anniversaire ne doit pas cacher l’ampleur des tâches à affronter.

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